L’expérience guinéenne du parti unique en Afrique (par Kemoko Camara)

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Évaluation de l'article

Le système de parti unique apparait comme un système qui est à l’antipode de la démocratie libérale. C’est un système qui permet à l’exécutif d’exercer son monopole sur l’ensemble de la vie politique nationale et surtout de concentrer en son sein tous les pouvoirs ou presque. Cependant pour la compréhension de tous, il serait utile d’établir la distinction qui existait entre les partis uniques pendant les indépendances africaines. Parce que d’une part, il y avait les partis uniques issus de la volonté populaire (la Guinée, le Ghana, l’Algérie…), et d’autres imposés par l’ex colon pour servir de pont entre ses agents et le bas peuple qu’il exploitait…

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Et si les premiers étaient basés sur une certaine philosophie (démocratie populaire), et ont permit à leurs peuples de disposer d’eux-mêmes, les autres ont servit de pions aux puissances impérialistes pour saboter les mouvements d’indépendance et toute perspective d’unité africaine. Vous conviendrez avec moi d’ailleurs que c’est sur ces dictatures réactionnaires que s’est longtemps reposé le colon pour renverser les régimes nationalistes du continent qui eux, ont fait le choix courageux de la cause des peuples opprimés. Les exemples n’en finissent point : le marxiste malien Modibo fut débarqué en 1965, Lumumba fut assassiné en 1961, le panafricain ghanéen N’Krumah en 1968, le togolais Olympio en 1963………..par la complicité des dirigeants agents de la françafrique. Comme l’atteste l’ouvrage « la politique africaine d’Houphouêt Boigny » de Jacques Baulin qui fut le conseiller particulier d’Houphouêt et qui retrace le rôle négatif de ce dernier dans les entreprises de destabilisation contre la Guinée, le Ghana, le Burkina Faso, le Libéria, le Nigéria….Donc il est nécessaire de distinguer le parti unique du peuple en Guinée et les partis uniques imposés par les puissances impérialistes dans certains pays pour sucer les populations africaines.

 

Au lendemain du référendum du 28 septembre 1958, le Président Sékou Touré, aux moyens du consensus national invita les responsables du BAG et PRA (partis ultra-minoritaires de l’opposition) à  rejoindre le gouvernement d’union nationale dans le but de faire participer tous à la construction du pays. Un gouvernement, au sein duquel le BAG aura plus de ministres que le PDG. Donc ce parti ultra minoritaire (moins de 5%) qui avait finit par se rallier au PDG dans la lutte pour l’indépendance de la Guinée, fut dissout de commun accord pour éviter toutes formes de clivage exploitables à l’époque par le colon revanchard. C’est ainsi que le parti unique fut instauré de façon démocratique puisqu’émanant du choix des élus du peuple. Ce qui est contraire aux autres cas de partis unique en Afrique francophone de l’époque… où l’on a assisté à de véritables rituels d’intronisation de gouverneurs coloniaux par la France. Et cela, contre la volonté des populations locales le plus souvent.

 

Notre système de participation démocratique de l’époque était inspiré de la distinction entre la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Si la souveraineté nationale est exercée par les élus du peuple, la souveraineté populaire elle, implique la participation directe du peuple souverain à toutes les prises de décisions à travers des structures de base « Démocratie participative». A ces 2 formes de systèmes de participation s’ajoute la démocratie semi-directe. Le véto populaire, l’initiative populaire existaient, le peuple participait directement à toutes les prises de décision depuis les pouvoirs révolutionnaires locaux (PRL) et les pouvoirs révolutionnaires d’arrondissement (PRA) c'est-à-dire que les décisions allaient de la base au sommet de l’Etat en passant par l’assemblée nationale. Ce système de gouvernance sociale a eu pour effet, la consécration de la volonté populaire, la sauvegarde de l’intérêt général, l’égalité des chances entre les guinéens, la répartition équitable des ressources de l’Etat, la sauvegarde de l’unité nationale, l’autorité de l’Etat, la sécurité intérieure et la défense nationale. L’Etat était fort et cela rassurait les citoyens. Chaque frange de la population, chaque citoyen jouissait au même titre des services de l’Etat. Tous les guinéens étaient placés sur le même piédestal. Ces considérations clientélistes, ces injustices sociales telles que nous les connaissons depuis quelques années, n’existaient pas. Certes, il y avait des améliorations à faire du point de vue des droits de l’homme, puisque l’importance était plus accordée aux droits du peuple, à la satisfaction de l’intérêt général qu’à la dictée de certains individus fussent-ils « la crème » comme l’on s’amuse à le dire. Donc en présence des droits individuels, le droit collectif primait…..les droits du peuple d’abord avant les droits des individualités. Certains me diront que c’était de la dictature mais je voudrais qu’on précise aussi que c’était la dictature du peuple, la dictature du prolétariat différente et contraire à la dictature d’une minorité de privilégiés qui servent les intérêts de la finance internationale sur le dos du peuple laissé pour compte. C’était la dictature du peuple puisque le peuple participait directement à toutes les prises de décisions et imposait sa volonté au nom de la souveraineté populaire. C’était l’expérience guinéenne.

 

Sur le plan économique, le président Sékou Touré disait :<<nous faisons l’économie de notre politique et non la politique de notre économie>>. Il faut savoir que la première République avait opté au début pour une économie planifiée ou centralisée qui est un modèle socialiste pur fondé sur la propriété collective et tourné vers la satisfaction des besoins primaires des populations locales comme les services sociaux de base, l’autosuffisance alimentaire, le plein emploi…C’est ainsi que l’agriculture, l’artisanat, les entreprises nationales, les industries agro-alimentaires et de transformation, les PMI –PME… ont été créées très tôt pour répondre aux premières urgences du peuple. Un modèle où toute initiative privée tendant vers l’exploitation du peuple était découragée, l’Etat priorisait la production nationale par rapport aux importations de quelques commerçants cupides. Tout appartenait au peuple et sauvegardé par la puissance publique. Un modèle qui privilégie l’utilité publique, la satisfaction de l’intérêt collectif sur la recherche du profit personnel. C’est ce que les pères fondateurs ont appelé « la voie de développement non capitaliste »

 

Cependant à la fin des 1970, le régime opta pour l’économie sociale solidaire  pour concilier l’activité économique à l’utilité publique, un modèle basé sur l’activité des coopératives, des collectivités paysannes, des entreprises nationales et dont les bénéfices sont réinvestis dans le secteur public en vue de la satisfaction de l’intérêt général. Ce modèle  a conservé la primauté de l’homme sur le capital, mais où l’initiative privée commençait à se libérer. Ce que certains ont appelé le virage vers le camp occidental n’était en réalité qu’une refonte du système économique pour une meilleure rentabilité.  C’était l’expérience guinéenne !

 

Sur le plan socialCe fut l’une des plus grandes réussites de la première République. Le bilan social (éducatif, culturel, sportif…..bref tout ce qui fut relatif à la société de l’époque) fut un succès surtout quand on considère le gâchis laissé par les français. D’abord ce système a permit de sauvegarder l’unité nationale en écartant toute sorte de clivages exploitables par l’ancien colonisateur. A cela s’ajoute la valorisation des ressources humaines à travers l’éducation, la culture et le sport.  Des reformes sociales furent mises en place telles que la gratuité des services sociaux de base l’eau, l’électricité, la santé et l’éducation pour la satisfaction des attentes du peuple souverain. Sur le plan éducatif par exemple, la construction d’établissements scolaires et universitaires, des écoles normales, des Instituts spécialisés, des grandes écoles avaient permis et facilité l’instauration de l’enseignement de masses gratuit à tous les fils du pays sans parler de l’envoi des centaines d’étudiants pour la formation dans des grandes universités. De ces établissements seront diplômés de nombreuses promotions sans parler de milliers d’élèves et étudiants boursiers de l’Etat en Europe et aux USA dont le retour servirait à la construction de l’Etat. Un système national de protection sociale pour tous les travailleurs et une politique de subvention aux producteurs nationaux, le ravitaillement en denrées pour les populations les plus vulnérables (comme les ouvriers, les personnes âgées, les handicapés….), des foyers d’hébergement pour les personnes handicapées comme la cité de solidarité de Ratoma, des bourses d’études accordées à tous les étudiants nationaux et africains vivant sur le sol guinéen, la réalisation du plein emploi…..Il faut savoir que la priorité de la politique de la révolution était le progrès social, l’homme avant le capital.

 

Cependant, comme tout régime, la révolution a eu ses côtés sombres, tout n’a pas été positif. Des gaffes, pas des moindres ont été commises et c’est sur le plan social que cela s’est le plus fait ressentir. Le choix courageux et légitime du peuple pour son autodétermination avait amené bizarrement l’ancien colon à perpétrer des dizaines d’actes de destabilisation contre la République. C’est cette guerre secrète lancée contre la Guinée et la riposte des autorités nationales de l’époque qui va faire des victimes, surtout au sein de l’élite nationale dont la plus part se trouvait être à la solde de l’ancien colonisateur. Même si la plus part des mis en cause à l’époque, sont dénoncés aujourd’hui dans des ouvrages publiés par des historiens, des journalistes d’investigation et autres agents secrets et conseillers particuliers françafricains qui furent par ailleurs les commanditaires de ces complots, il faut reconnaître quand même que des innocents ont souvent payé pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Des accusations mensongères, des abus de pouvoirs de certains agents publics, des méthodes d’interrogatoire musclées ont fait que certains en sont sortis profondément affectés. C’était la conséquence de la guerre secrète lancée par les services secrets français contre la Guinée depuis 1959. Les pères fondateurs n’ont pas voulut de cette guerre, Sékou Touré ne l’a pas voulut, elle le lui a été imposée par les services secrets français et leurs complices internes. Notre mission dans ce cas est d’identifier et réhabiliter les victimes, les seules et vraies victimes de la République à travers cette conférence nationale que nous sollicitons auprès des autorités nationales et au cours de laquelle toutes les victimes (des événements douloureux survenus dans notre pays de l’indépendance à nos jours) seront rétablies dans leurs droits. 

 

Notre objectif dans cet article (je le rappelle) n’est en aucun cas de faire l’apologie du système de parti unique, nous ne sommes adeptes d’aucun système du genre mais nous pensons qu’il est important d’expliquer à tous que le régime de la Révolution guinéenne avait un fondement démocratique appelée « démocratie directe» ou « démocratie participative » découlant de l’idéologie marxiste. Le peuple était l’épicentre de la révolution guinéenne. Tout appartenait au peuple. L’exécutif malgré sa prédominance, agissait au nom du peuple dont il tenait sa légitimité. Certes ce système n’est pas le meilleur modèle qui existe, mais ce système avait laissé des acquis sociaux considérables chez nous : l’unité nationale, la redistribution équitable des ressources de l’Etat, la participation directe du peuple aux prises de décision, un patrimoine national considérable, la défense de l’intérêt national, la valorisation des ressources humaines à travers l’éducation, la culture, le sport… il serait donc plus scientifique pour tous, de se situer dans le contexte historique des indépendances et de la guerre froide en tenant compte bien sûr des principes de la démocratie participative avant de porter un quelconque jugement à cette période importante de la vie de notre Nation. C’est seulement de cette façon que nous aurons des réponses crédibles aux questions restées jusque là sans réponse. En vous adressant ainsi mes condoléances à vous mes chers concitoyens et aux familles des victimes pour les événements de Rogbanè, recevez mes salutations fraternelles.

                                                                                                                                         

 Kémoko CAMAR

Président du Club Ahmed Sékou Touré – France

Adresse : 11, rue Caillaux

  75013 – Paris

Email : clubastfrance@yahoo.fr

 

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