Mamady Youla, un autre bonimenteur (par Haroun GANDHI)

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Une déclaration connue… simplement actualisée

La déclaration de politique générale du nouveau Premier Ministre (PM) Mamady Youla le 4 Mai dernier et qui comprend plus d’une trentaine de pages, fut un tissu de lieux communs, de poncifs, et malheureusement de boniments. L’hagiographie consacrée au bilan d’Alpha Condé décrit un monde imaginaire, que je ne préfère même pas commenter, chacun étant désormais lucide sur ce qui a été fait réellement…

{jcomments on}.

Au lieu d’évoquer ces forfanteries, allons à l’essentiel, sans se préoccuper des questions de méthode qui constitueraient le remède absolu, mais sans effets sur des incapables, tant les discours passés nous ont vaccinés. Aujourd’hui seuls les résultats comptent.

 

D’ailleurs ceux qui sont présentés comme des « technocrates d’une nouvelle génération », parce que, comme le dit le PM, ils sont issus essentiellement des secteurs privés et publics internationaux, ne constitue pas – contrairement à ce qu’il dit – un gage de bonne gouvernance renforcée et d’accélération de la transformation économique et sociale de notre pays.

 

Oui leur compétence supposée – ce qui ne préjuge nullement de leur honnêteté – peut permettre de faire bouger les choses, mais ceux qui ont travaillé dans des organismes internationaux ne connaissent pas le monde de l’entreprise. Quant à ceux qui ont travaillé dans le privé, il faut relativiser cette storytelling. Mamady Youla par exemple, est présenté comme le DG d’une multinationale, alors qu’il était au départ le représentant de l’État (du fait d’une formation économique) dans le projet Guinea Alumina Corporation. A t-il géré directement et seul une fois le projet établi ? On voit la différence entre un entrepreneur qui engage ses fonds, et celui qui est payé – quoiqu’il arrive, y compris si le projet n’aboutit pas – pour amener un projet à bien. Enelgui, Guinomar et le PAC par exemple où il est passé, ne sont pas synonymes d’entreprises hyper performantes.

 

Je ne veux pas minimiser les compétences de Youla (même si pour un économiste supposé…), mais je veux remettre les choses en place, car on s’emballe un peu vite en Guinée pour des profils ou des CV, alors que d’une part, lorsqu’on connaît le mode de désignation des représentants dans certains organismes, on devrait rester mesuré, et d’autre part, certains adjoints ne seront que des adjoints parce qu’ils n’ont pas la capacité de diriger seuls.

 

Il a fallu attendre 100 jours pour se voir infliger un programme dont on connaissait le contenu. Ce n’est pas un bon signe, et je n’y vois qu’une simple opération de communication.

 

Un simple catalogue de mesures

 

Mamady Youla a fait l’inventaire complet – secteur par secteur – d’un catalogue montrant l’omnipotence de l’État, qui intervient partout.

C’est une habitude, on a même vu encore récemment le PRG interdire l’utilisation de certains klaxons par décret présidentiel !!!

 

Mais ce catalogue de vœux pieux ne trompe personne, car tout est mélangé : le concret et le rêve, le sérieux et l’anecdotique, les considérations générales et les promesses clientélistes. Les contradictions sont partout, parfois au sein d’une même proposition (j’y reviendrai pour la politique agricole par exemple). Au contraire du PRG qui indexe cyniquement les ex-PM pour dénoncer tout ce qui n’a pas fonctionné en Guinée, Mamady Youla accuse ébola d’avoir gâché l’essor du pays. Il est tellement plus facile et lâche de dire à un jeune chômeur, qu’ébola est responsable de sa situation.

 

Le discours du PM a été écrit sans être actualisé, car Mamady Youla aurait du prendre soin d’éviter de prétendre que « après 2 années de morosité économique, les perspectives à moyen terme sont bonnes avec une croissance qui devrait être soutenue sur le moyen terme (2017-21) grâce au retour attendu des investisseurs, y compris dans le secteur minier », le jour même où Rio Tinto annonçait le licenciement de 800 salariés et la réduction de certains coûts.

 

Au final le contenu de sa politique générale manque de vision claire, sans aucun projet mobilisateur et d’un chronogramme d’exécution bien établi, pour l’accomplissement sectoriel des objectifs énumérés. Aucune mesure n’est indiquée par exemple, pour préciser comment le panier de la ménagère va être allégé. Présenter des projets (parfois non financés) pour l’avenir, ce qui évite de faire le bilan des promesses passées, revient à nier les problèmes de pouvoir d’achat des Guinéens.

 

Au lieu d’évoquer le miroir aux alouettes, alors que rien n’est fait pour y parvenir, le PM devrait s’appuyer, non sur d’hypothétiques investisseurs étrangers, dont certains reculent d’ailleurs, mais sur nos propres forces, et notamment notre capacité à travailler, à former, à innover et à investir. Il est vrai qu’avec un PRG omnipotent qui n’a jamais travaillé, c’est difficile.

 

Des vœux pieux sans consistance dans de nombreux domaines

 

L’une des ambitions de ce catalogue consiste à affirmer l’obtention d’un taux de croissance à 2 chiffres d’ici 2020 !!! Je suis sûr que si le PM avait prédit un taux de croissance à 3 chiffres, les députés de la mouvance auraient applaudi. Mais au lieu d’indiquer comment il va y parvenir (parfois cela s’effectue en toute passivité, simplement lorsque les miniers importent davantage de cailloux), il précise qu’il compte sur ses collègues, sic…

 

Le PM veut restaurer l’autorité de l’État et selon lui cela passe par achever les infrastructures administratives et les équipements marchands réalisés dans le cadre des fêtes tournantes de l’indépendance (Boké, N’Zérékoré, Mamou et Kankan), sic… Cela démontre qu’on les a présentées comme un acquis du bilan d’Alpha Condé, alors qu’en réalité elles n’étaient pas terminées. C’est aussi le cas de

nombreuses routes, présentées également comme des acquis. De même professionnaliser les métiers d’administrateurs territoriaux (gouverneurs, préfets et sous-préfets), sans que l’on comprenne ce que cela signifie précisément, c’est continuer à privilégier un État centralisé, malgré la réforme de la décentralisation à venir.

 

Le PM ne fait que dérouler son catalogue de vœux pieux. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les mesures concrètes et compréhensibles par tous, se mesurent à des expressions, telles que : rationaliser, mettre en œuvre, opérationnaliser, renforcer la capacité, intensifier, veiller à élaborer, engager la planification, finaliser un projet, améliorer l’accès… Tous ces termes permettent de faire croire ou donnent l’illusion que certaines administrations travaillent, alors qu’elles ne font que… brasser de l’air.

 

Le PM n’a pas évité les travers de ses prédécesseurs, consistant à seriner encore, que la Guinée est potentiellement riche, alors que nos cailloux ne valent que s’ils sont transformés sur place, ce qu’aucun gouvernement n’a réussi à faire depuis 1958.

 

Dans le domaine de l’éducation, on indique qu’on incitera les filles à fréquenter l’école, mais sans indiquer comment. La réforme de l’éducation consiste simplement à octroyer des marchés de gré à gré (de construction d’écoles) au clan mafieux qui dirige le pays et à former les enseignants… mais à quoi et pour faire quoi, on n’en sait rien ?

 

En matière d’enseignement supérieur, aucune ambition, si ce n’est d’évaluer les institutions et leurs programmes, ce qui suppose que cela n’a toujours pas été fait !!! et d’essayer de créer des PhD et des masters. Dans quels domaines, peu importe, l’essentiel serait d’avoir des docteurs à chaque coin de rue !!! Par contre la Guinée n’a toujours pas d’écoles de commerce et de gestion, ni d’écoles d’ingénieurs. Il est vrai que lorsqu’on est médiocre, on se contente de peu, d’autant qu’on n’évoque jamais l’insertion des étudiants dans le monde du travail.

 

Pas davantage d’ambition en matière de santé, puisqu’on en est encore à réfléchir à des études de faisabilité de nouvelles constructions. Offrir des soins de qualité aux malades ??? Même pas honte, cependant que les dirigeants vont se soigner ailleurs !!! et faire passer la part du budget à la santé à 10% (multiplication par 3) sans que l’on sache comment y parvenir. Le PM veut garantir une protection sociale adéquate contre la maladie pour tous (qu’est-ce que cela veut dire ?), réduire les effets du handicap et de la misère et apporter un soutien actif aux plus vulnérables pour les préserver de la faim et de la malnutrition (là encore, qu’est-ce que cela signifie ?). Sans compter que l’augmentation de ces prestations sociales (non financées ??? donc démagogiques) n’est pas évalué : demain on rase gratis.

 

Quant à la politique de la jeunesse, je préfère en rire qu’en pleurer. Là où Moustapha Naïté en promettait 750 000, le PM est plus modeste et promet 200 000 emplois, dont 35 000 pour ramasser les ordures. Certes il n’y a pas de sot métier, mais si ce sont là les seules perspectives à offrir à la jeunesse !!!

 

Dans le domaine des infrastructures, certaines sont indiquées, mais sans précision de l’année de construction, ni le montant du financement, de sorte qu’il est impossible de contester. Ainsi des tribunaux seront construits à Kindia, Kankan et Mamou (ça n’existait pas ?), et je découvre que l’ENA n’est pas opérationnelle, puisqu’on envisage (quand ?) de construire les locaux.

 

Dans le domaine des recrutements, on constate qu’une centaine d’auditeurs et de greffiers seront recrutés dans les mêmes conditions (pas d’indication de la date, ni du coût). On a également recruté plus de 4000 policiers, mais la sécurité n’est toujours pas assurée et 2000 agents de santé (qui le savait ?), cependant que la santé est toujours défaillante.

 

D’autres mesures inconsidérées sont évoquées, notamment la mise en place de certaines structures : ainsi la création d’un Institut pour la paix, une Agence Nationale des Affaires Humanitaires, un Fonds de Secours d’Urgence, un Institut National d’Assurances Maladies Obligatoire, un Haut Conseil des Guinéens de l’Étranger (un serpent de mer) créeront des dépenses dont le coût n’est pas évoqué, et encore moins l’urgence. Même la relance d’Air Guinée (il suffit de claquer des doigts) est annoncée.

 

L’adoption d’une loi sur l’apologie des crimes de masse et d’incitation à la haine ethnique et régionaliste est envisagée, alors que la Guinée n’a jamais été en guerre, et qu’on est toujours incapable de juger les massacres du 28 Septembre 2009.

 

Enfin l’existence d’un environnement sain et d’un système d’assainissement de qualité pour chaque ménage guinéen et en tous lieux (y compris dans les écoles et hôpitaux, les marchés les ports) restent une priorité du gouvernement… mais Conakry est toujours un tas d’immondices.

 

Une politique agricole contraire aux intérêts guinéens

 

Je veux m’arrêter un peu plus sur la politique agricole, pour montrer l’incompétence de nos dirigeants, qui se contentent d’appliquer les principes de la Banque mondiale, alors que cette dernière a pourtant fait son autocritique en la matière. Manifestement la Guinée n’est pas au courant, préférant utiliser de vieilles méthodes, qui n’ont pourtant pas fait recette. Ceux qui se présentent comme technocrates n’ont donc toujours rien compris, puisque l’un de leurs objectifs stratégiques est une politique agricole reposant sur la sécurité alimentaire et la promotion de filières prioritaires d’exportation.

 

Il y a pourtant une contradiction – qui ne dérange pas nos dirigeants, sic… – consistant à dire qu’on donne la priorité à la sécurité alimentaire et aux cultures d’exportation, et en même temps prétendre qu’une place importante sera donnée à l’agro-industrie pour la valorisation des produits locaux (en vue d’une autosuffisance alimentaire).

 

Depuis 60 ans (même sous la première république), l’autosuffisance alimentaire n’a pas été atteinte en Guinée !!! et pourtant René Dumont avait tiré la sonnette d’alarme en 19621. Même la Banque mondiale a privilégié la sécurité alimentaire2, avant de reconnaître son erreur (le démantèlement des politiques publiques agricoles) en 2008 avec les émeutes de la faim.

 

Le système de subventions aux importations alimentaires, en vue d’éviter les risques d’émeutes de la faim urbaines, se fait en effet au détriment de la production vivrière. Mais préférer la sécurité alimentaire, c’est privilégier le court terme (et les producteurs étrangers) plutôt que de s’assurer par l’autosuffisance alimentaire (et la production nationale), une autonomie alimentaire à long terme. Il faut donc une volonté politique et faire preuve de bon sens économique, ce qui fait défaut en Guinée, pour au moins tenter de résoudre cette contradiction.

 

La liberté des agriculteurs est une condition sine qua non à la mise en place d’une économie prospère, dont les dividendes seront individuellement (puis collectivement) perceptibles. Une confiscation du bénéfice, via l’impossibilité d’exporter la production locale et l’obligation de vendre localement… à des commerçants triés sur le volet (?), est contraire à une répartition équitable des gains et donc à l’autosuffisance alimentaire. C’est tout le contraire d’une politique agricole conforme aux intérêts du pays, mais cohérente avec les intérêts de certains commerçants ciblés, qui ne font que profiter d’un monopole de vente, et qui n’ont évidemment pas l’atteinte de la sécurité alimentaire des populations comme objectif principal.

 

Les prix agricoles ont toujours été maintenus artificiellement bas pour acheter la paix sociale dans les villes, aux dépens de la paysannerie. Cela doit cesser. Il faut augmenter les prix agricoles et moderniser le travail agricole pour le rendre rentable, sous peine de décourager et de dévaloriser le travail, en privilégiant la réussite rapide à bon compte (sans aucun travail), mais via la corruption, la protection clientéliste et la recherche de rentes monopolistiques. Le problème est qu’en Guinée, ceux qui peuvent agir contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire n’en souffrent pas et ceux qui souffrent n’ont pas les moyens d’agir.

 

Enfin en matière d’élevage, on aimerait un peu plus de détails sur la mise en œuvre d’un programme d’amélioration génétique des porcins en Guinée forestière et en Basse-Guinée, car je doute que la Guinée possède des généticiens de haut niveau, capables de ce genre d’exploit. Je ne souhaite pas en effet que la Guinée soit une terre d’expériences d’entreprises forcément étrangères, qui choisiraient des Guinéens (une minorité, puisque la grande majorité ne mange pas de porc) comme cobayes de manipulations génétiques.

En conclusion, le programme du PM évoque des dépenses qui feront flamber les déficits publics, mais n’évoque nullement les recettes, forcément assises sur les consommateurs !!! On se rappelle le refus du gouvernement de baisser le prix du carburant par exemple.

 

 

Gandhi, citoyen guinéen

 

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

1 « L’Afrique noire est mal partie », 1962, le Seuil.

2 « Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara. Programme indicatif dʹactions. Washington, 1981 (dénommé rapport Berg).

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