Les stèles, les sourates et le devoir de mémoire. – Il est certes rassurant que les guinéens commémorent les pendaisons et exécutions du 25 Janvier 1971. C’est un rappel symbolique important de la terreur que Sékou Touré et son régime instaurèrent en Guinée. Force est de constater toutefois que la Guinée est loin de rompre avec cette culture répressive. {jcomments on}
Les commémorations des tristes évènements – avec les prières et les stèles – pour utiles qu’elles soient, n’ont en rien entamé la violence d’état. La classe dirigeante guinéenne a intériorisé la violence comme norme politique – avec l’imprécation comme débat et les règlements de compte comme méthode. Pour des générations de guinéens les réflexes de peur ont relégué la notion de justice dans les franges des préoccupations. Les tenants et aspirants du pouvoir ont fait de la Guinée le théâtre de rituels d’enterrements de morts et de négligence des victimes avec des psalmodies pour une justice transcendantale. La rengaine du devoir de mémoire n’est qu’une dilution de l’impératif de situer les responsabilités des criminels disparus et l’obligation de traduire ceux qui sont vivants et leurs commanditaires devant une cour de justice.
Le slogan et la réalité
Le leitmotiv «PLUS JAMAIS ÇA » des associations des victimes est-il réellement pertinent? Après tout, on n’évoque pas un passé dont on veut éviter la répétition. On parle de pratiques encore à l’œuvre. Les mécanismes de la violence et de la terreur d’état du PDG ont survécu dans l’opacité des tabous. Le zèle des procureurs s’abat sur quiconque ose prétendre au pouvoir ou simplement contester ses abus. Jamais sur les auteurs de meurtres et de braquages. Les mœurs politiques sont immergées dans l’évitement de la vérité. L’impunité est devenue un comptoir où on négocie des alliances politiciennes et des culpabilisations ethniques. Les criminels et leurs progénitures – plus que jamais arrogants – ont tout loisir pour travestir l’histoire.
Cette situation n’est pas fortuite. Elle résulte d’un choix politique malhonnête. Celui de prétendre construire la démocratie en foulant la justice aux pieds. Ce travesti de démocratie ne fera qu’accoucher d’une dictature après l’autre. S’étonner alors de la faillite du pays ou s’engluer dans mythe de la malédiction collective c’est refuser de confronter cette vérité.
Le guinéen moyen est certes pris dans les étaux d’une misère qui peut estropier toute mémoire collective. Doublée du manque d’éducation, la misère atomise la société civile. Le poison de l’ethnie la tétanise. Mais, comme le montrent les activités et les débats sociaux – pour décousus, malmenés et instrumentalisés qu’ils sont- les guinéens restent le pied et l’espoir fermes sur le sentier vers une société de droit. Les forces de leurs aspirations y attendent d’être organisées. Combien de temps y attendront-elles les «bons leaders» ? Après que ceux qu’elle a investis de ses espoirs aient prouvé un à un, leur incapacité si ce n’est simplement leur cupidité?
Leçons et nouvelles tactiques
Aux disparates et anonymes agents de cette force, il incombe de tirer les leçons et de changer de tactiques. Ils doivent se défaire des doutes qui alimentent la stérile attente d’être dirigés. Il faut se remettre de l’ivresse du renoncement pour élaborer de façon pragmatique, concrète, durable et mesurable des programmes d’actions dont le futur de la Guinée dépend.
L’éradication de l’impunité n’est pas un instant fixe dans le parcours de la nation. C’est un processus. Il ne dépend pas d’élections, de la communauté internationale, d’hommes intègres ou diplômés, encore moins de l’attentisme actuel. Le processus ne s’accomplit qu’au fur et à mesure de la réalisation de ses programmes. Il s’amendera avec les leçons qu’on en tirera.
Ici et maintenant, avec de l’organisation, une myriade d’actions peuvent être menées. Sans regard en arrière, sans états d’âme et avec une conviction obsessive, les associations des victimes doivent s’y lancer. Elles n’ont pas besoin de la bénédiction d’organisations internationales des droits de l’homme, des protocoles d’ambassadeurs accrédités, de ministres aux ordres ou des notabilités locales – reconnues ou autoproclamées.
En elles-seules, les associations de victimes constituent une force morale auto-suffisante et légitime. Elles doivent lever les blocages en leur sein comme la quête de l’unanimité ou l’abdication sous l’accusation de victimisation servie pour les démobiliser. Elles doivent déjouer les pièges des promesses des tenants du pouvoir et des aspirants. Elles doivent rétorquer point par point aux discrédits. Le commun des mortels va sûrement se moquer de leur effort sous le prétexte qu’ils remuent un passé mort ou qu’il y a des urgences dont on doit s’occuper en priorité. Des militants de partis politiques vont les isoler comme des empêcheurs de tourner en rond dans la course vers le pouvoir. C’est le lot d’un mouvement d’avant-garde. Mais l’histoire doit être leur seule référence. Sans leurs actions, la Guinée restera à la merci de politiciens de petit calibre, et l’objet de peurs infondées et paralysantes. S’il s’avère impossible d’initier ce processus à travers des actions concrètes, il faut arrêter la délusion du changement.
Ici et maintenant : exemples d’actions possibles
Les associations des victimes ont initié de nombreuses actions de façon fragmentaire. L’inventaire et la localisation des fosses communes des exécutés et des disparus ainsi que la restitution des restes mortuaires aux familles pour des funérailles dans les normes. Le recensement et la publication de tous les documents disponibles relatifs aux arrestations, aux tortures et aux exécutions de détenus. Elles doivent exiger des lois pour faire de tels documents des propriétés nationales à restituer à des institutions reconnues. Quiconque détiendrait, dissimulerait ou essayerait de monnayer de tels documents devra être contraint de les céder. Une fondation à mettre en place, financée par des campagnes de dons et des subventions, devra prendre en charge la gestion de la documentation. L’idée d’une telle fondation a été discutée avec des membres de familles de victimes. Sa mise en œuvre doit être poursuivie et s’appuyer sur le travail fait par Tierno Siradiou Bah sur campboiro.org.
La révision des accusations et des procès par une commission nationale permanente de vérité et de justice doit être une pièce centrale des revendications. Tout comme l’organisation de forums sur l’impunité en Guinée afin d’évaluer les progrès des actions entreprises sur les crimes contre l’humanité.
Cette liste n’est ni limitative ni exhaustive. Elle est simplement illustrative de ce qui est possible comme plateformes d’actions proactives. La réalisation de ces plateformes est ce qui fortifiera les organisations des victimes. C’est dans ce processus qu’elles pourront maintenir une pression irrésistible sur les autorités. Les cérémonies annuelles ne sont pas suffisantes.
Questions de mise en œuvre
La mise en œuvre de ces revendications peut être simplifiée pour un succès dans le long terme. Elle pourrait être pensée comme ci-après. Une vingtaine de familles de victimes peuvent monter un stand hebdomadaire – par rotation – dans un endroit de grande affluence à Conakry. Avec des pancartes et des photos, les représentants vont exiger l’exécution d’un ou de plusieurs points de revendication. Avec quelques membres dans vingt-cinq familles au plus, chaque groupe n’aura à animer le stand que deux fois par an. Bien entendu, il faudra une mobilisation plus consistante pour parer aux éventualités (provocation, interdiction ou lassitude etc.). En tout état de cause, la réalisation de tels programmes ne demande ni argent, ni subventions. Elle ne requiert que de l’organisation et de la discipline. Les professionnels du pessimisme vont dire que le guinéen en est incapable. Rappelons pour dissiper ces doutes, que de nombreuses personnes sont mortes dans des manifestations, en bravant des forces de l’ordre dressées pour tuer. Il est alors clair qu’avec focus et suivi, les populations prendront la lutte à bras le corps et la renforceront. Les medias nationaux et internationaux ne feront que suivre. La suite appartiendra à l’histoire.
Bashir Ourouro Bah