Jean Marie Doré à propos des violences de N’Zérékoré: « C’est un conflit d’intérêt qu’on veut habiller en opposition ethnique »

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GBK Les villes de N'Zérékoré et de Beyla, situées au sud-est de la Guinée, en région forestière, ont été cette semaine le théâtre de violents accrochages entre populations guerzés et Koniankés. Le bilan est lourd. Au moins 50 morts et de nombreux blessés, selon une source hospitalière. L'ex-Premier ministre guinéen de la transition et leader de l'Union pour le Progrès de la Guinée (UPG) Jean Marie Doré, originaire de la région, a parlé de "conflit d'intérêt" et balayé la thèse d'une "opposition ethnique"…

{jcomments on}Quelles analyses faites-vous des malheureux évènements survenus en début de semaine en région forestière ?

Jean Marie Doré : C’est un conflit d’intérêt qu’on veut habiller en opposition ethnique. Tout ça part du fonctionnement du syndicat des transporteurs. Il y a un vieux syndicat des transports dont le comportement d’après ce que l’ont dit est incompatible avec ses propres statuts. Les taxes ne sont pas payées à la commune ni à la préfecture. Et ceux qui dénoncent cette situation allèguent que les revenus de ces taxes qui ne sont pas versées là où ils devraient être versés sont distribués dans des mains qui ne sont des destinations légales. Donc, à la faveur de la lecture de la constitution et des lois organiques, les gens se sont rendus compte que le syndicalisme n’est pas prévu par la loi guinéenne. Et, comme Il y a huit centrales syndicales des travailleurs, eux aussi veulent créer leur propre syndicat des transporteurs routiers. Ils auraient donc construits leur siège et le meublé. Puis les tenants de l’ancien syndicat qui s’opposent à la création du nouveau seraient allés il y a quelques mois incendier les installations du nouveau syndicat. Alors, il y a cette situation parce que le nouveau syndicat comprend des peulhs, des malinkés, des guerzés, des manos etc. Ceux qui n’acceptent pas l’ancien syndicat qui seraient, dit-on, entièrement aux mains d’une seule composante ethnique qui serait konianké. C’est ça qui est à l’origine profonde de cette affaire et ce syndicat serait protégé par un certain Abou Dramé, le président de la chambre régionale de commerce. Et, c’est monsieur Abou Dramé qui aurait mis l’huile sur le feu en présentant unilatéralement une des victimes de la fusillade de Koulé contre des voleurs du magasin du vieux sage de Koulé qui serait le cadavre du bandit konianké sans parler du mort guerzé. Parce qu’il y a eu deux victimes. Donc, il serait venu dire que les guerzés veulent exterminer les koniankés, "regardez le corps ensanglanté de notre parent". Je pense que si les faits se sont déroulés comme ça, ce n’est pas bien. Dire qu’il y a une guerre qui oppose les guerzés, les koniankés, ce n’est pas correct parce les koniankés, certains se sont établis en région forestière depuis 100 ans, 150 ans et quand on vit 150 ans dans une région, on en est autochtone. Donc, on ne peut pas dire que les koniankés sont des étrangers à N’zérékoré. Mais ce qui manque, c’est l’esprit et la volonté d’intégration. Je trouve normal qu’un konianké dise qu’il est originaire de N’zérékoré parce que nous nous y sommes depuis 200 ans et personne peut me contester d’être Mano. Je suis Mano, mais cela ne doit pas m’autoriser à être contre les malinkés, les peulhs, les tomas où les kissis. Parce que le peuplement d’un pays se fait par des accords humains successifs. C’est comme Conakry qui était peuplé pratiquement de Bagas en 1650. Aujourd’hui, il y a des éléments nalous, soussous et il se trouve que le soussou étant la langue facile, tous les autres éléments parlent soussou. Donc, ici, je réfute l’assertion selon laquelle ce sont des oppositions ethniques. Parce que si vous allez à N’zérékoré, vous trouvez des koniankés mariés à des femmes guerzés et vice versa. Si c’était une opposition ethnique, ce serait formellement interdit. Donc, des gens qui ont intérêt à exercer des monopoles excitent en dessous des différences ethniques pour aller plus vite dans le recrutement des combattants. Je crois que tous sont dans l’ignorance. C’est pourquoi les leaders, les gestionnaires de l’Etat, les chefs religieux doivent mettre les moyens ensemble pour persuader les gens qu’il s’agit de nous organiser bien pour tirer le maximum du bien-être de cet espace fertile. Parce que ça n’apporte rien à personne de dire qu’il est guerzé, qu’il est malinké, qu’il est soussou ou autres.

Certains parlent d’utilisation d’armes automatiques à N'Zérékoré  lors des affrontements. Est-ce que vous croyez à cette version ?

Oui. Je crois bien à cela. Il y a quelques années, les douaniers ont saisi à la frontière de Koundara et du Sénégal un camion rempli d’armes de guerre. Ce camion est garé près de l’immeuble Fria et actuellement le camion en question est presque vide. Des gens prennent les armes je ne sais avec la complicité de qui pour transporter des sacs à destination de la forêt. Si des gens qui ne sont pas des militaires, des gendarmes et des policiers disposent de ces armes là on commence par identifier les endroits où on sait qu’il y a eu des armes de guerre. Ce que je dis est loin d’être une allégation gratuite. Il y a bien eu des coups de feu signés par des gens qui ne portent aucun uniforme.

La même scène s’est produite dans les années 90 entre ces deux ethnies (Guerzés et koniankés). Peut-on aujourd’hui dire que c’est le même scénario qui continue ?

Non. Pas du tout. Certains voudraient se référer à ça à titre de vengeance dans le cadre de ce qui se passe actuellement. Mais il me semble que si on veut gérer des communautés dont la vocation est de s’intégrer, il ne faut pas réveiller sur ces communautés les mauvais souvenirs. La France et l’Allemagne ont fait une guerre atroce. Pour que cela ne se reproduise pas, on n’a pas cultivé chez les Français ou chez les Allemands le sentiment de prendre la revanche. Si on va dans le sens de la revanche, c’est le dépeuplement des pays. A l’époque, les armes avec lesquelles les gens se sont entretués sont dépassées. Donc, moi je ne crois pas. Mais ça peut être le sentiment qui habite certains. Mais je ne crois pas parce que les conflits ne sont pas nés à partir des mêmes causes. Aujourd’hui, on connait mieux les raisons pour lesquelles les gens se sont affrontés et la plupart des victimes ou des assaillants sont victimes, eux tous ensemble de la défense d’intérêt qui les dépassent et auxquels, ils sont même étrangers. Il y a des jeunes gens qui sont morts dans les deux camps qui ne sauront jamais pourquoi ils sont morts réellement. Ils croiront toujours qu’ils sont morts pour défendre l’ethnie konianké ou l’ethnie guerzé alors qu’en réalité, on les a manipulés. On doit mettre fin à ça. Mais quand l’administration est corrompue, protège les gens qui ne devraient pas être protégés on n’en arrive forcément à cette situation. Parce qu'il y a des gens, quand ils profitent de largesse de l’Etat, automatiquement ils se considèrent comme des privilégiés, ils ne respectent même plus les lois de l’Administration. Je pense qu’il faut éviter ces genres de choses. Parce que N’zérékoré est une ville métropole comme Mamou. A Mamou aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est une ville peulh. Toutes les ethnies de la Guinée sont presque présentes dans cette ville.

Vous voulez dire que le gouvernement de votre ami Pr Alpha Condé a une part de responsabilité dans ce qui s’est passé à N’zérékoré et à Koulé…

Mais qui est chargé de défendre la sécurité des citoyens ? C’est le Gouvernement. Puisque nous avons dit que la détention d’armes de guerre est le monopole de l’Etat. Si sous les yeux de l’Administration, les gens se tuent et qu’on ne fait rien, je pense que ce n’est pas être opposant que de dire cette vérité palpable. Certains croient toujours que vous faites une analyse qui compromet le Gouvernement quand vous êtes opposant. Ce qui veut dire que quand vous soutenez le Gouvernement, vous devez mentir. Si mon ami Alpha Condé comprend, c’est de prendre des mesures énergiques pour empêcher que des pêcheurs en eau trouble se croient protégés par son régime. Parce que si des citoyens guinéens finissent par croire que le Gouvernement est là pour protéger les peulhs, les malinkés ou les forestiers, alors c’est le plus grand mal qu’on peut lui faire. Donc, moi je crois que la situation qui prévaut dans notre pays peut être facilement bridée si les pouvoirs publics acceptent d’agir sur les vertèbres de ces conflits.

La région forestière est considérée par certains comme le fief aussi de votre parti, l’UPG. Aujourd’hui, la révision complémentaire de la liste électorale déclenchée par la CENI vient de connaitre un coup dur à N’zérékoré à cause de ces évènements. Avez-vous un appel à lancer pour que l’institution en charge des élections prenne des mesures exceptionnelles ?

Il n’y a pas deux appels à lancer. Il faut dire aux gens de se faire recenser. C’est vrai que tout est interrompu aujourd’hui à N’zérékoré par la faute du Gouvernement. La date annoncée par la CENI pour l’arrêt de cette révision n’est pas une montagne qui est là. La légalité est que les élections législatives aient lieu sur le territoire national le même jour. On ne peut voter par étape dans le temps. Donc, s’il y a une région où il n’est pas possible de voter, on n’interrompt pas le vote dans le reste du pays. Si on veut forcer maintenant, alors là ça devient une provocation générale et on n’acceptera pas cela.

Leader de parti politique et fils de la région forestière, quelle solution préconisez-vous à ce jour pour que les choses rentrent définitivement dans l’ordre à N’zérékoré et Beyal ?

Ecoutez. Moi, j’ai eu à organiser une élection. C’est l’élection présidentielle. A un moment, je me suis aperçu que l’élection n’avait plus tellement d’importance. Ce qui était le plus important, c’était la garantie de la paix civile. La loi est faite pour les Hommes. L’Homme n’est pas fait pour la loi. On devait faire le deuxième tour le 04 août (ndlr:  2010), c’est-à-dire 15 jours après le premier tour. Je me suis dis que vouloir le faire, ce sera la déflagration générale dans le pays. Donc, au nom de la paix civile dont j’avais la garantie, personne d’autre dans mon Gouvernement ne pouvait être responsable de ça, c’était moi. J’ai pris sur moi contre l’avis de la communauté internationale pour réguler la date. Certains ont crié à l’époque que Doré a régulé la date pour permettre à son ami Alpha Condé de gagner. Si Alpha Condé a profité de ça pour gagner, mais ce n’est pas de ma faute. Mon objectif premier à l’époque était la paix civile. Si aujourd’hui nous nous trouvons devant les faits semblables, il faut préférer la paix en Guinée, parce que le premier bénéficiaire de la paix en Guinée, c’est le Gouvernement. Aucun chef d’Etat ne peut donner la plénitude de ses moyens de gestion si les bruits sociaux sont entendus de gauche à droite dans le pays.

Avez-vous un bilan de ces évènements ?

C’est très difficile de faire un bilan exact. 65 c’est contrôlable. Mais certains me donnent des chiffres plus élevés. Ce qui est sûr et qui a été vérifié par nos gens sur place c’est 65 morts qui comprennent à la fois des guerzés, des koniankés et quelques éléments des forces de l’ordre. Parce que les premiers éléments des forces de défense qui sont partis ont donné l’impression de prendre partie pour un camp. Ce qui n’était pas normal. C’est pourquoi les professionnels qui sont partis de Kindia sont entrain vraiment de bien travailler sur le terrain et je les félicite pour ça. Je dois ajouter quelque chose qui est important à mes yeux. Dans une affaire grave comme ça, qui met en péril la paix civile, ce ne sont pas deux officiers qui devaient allés là-bas. C’est une délégation gouvernementale avec le prestige du ministre de l’Administration du Territoire, ministre de la Justice, ministre de la Défense, ministre de la Sécurité. Leur présence en aurait imposé à la population. Mais vous envoyez deux officiers supérieurs au motif qu’ils sont les fils de la région. Or, ce sont les fils de la région qui sont aux prises les uns contre les autres. Et, les deux officiers font l’objet de poursuite pénale devant la cour internationale. Je continue toujours à m’interroger sur la raison de leur choix. Parce qu’une partie de leur prestige était déjà entamé par le fait de leur inculpation. Est-ce c’était avisé d’envoyer sur le terrain des gens qui sont inculpés pour des crimes devant la cour pénale internationale. Je ne dis pas qu’ils sont coupables parce que l’inculpation n’est pas une preuve de culpabilité.

Quelques jours après le début de cette crise dans la capitale de la région forestière, à N'Zérékoré, le président guinéen s’est envolé pour Abuja, au Nigeria, pour un sommet de la CEDEAO…

Il y a déjà beaucoup de choses qu’on reproche au président. Je ne voudrais pas encore ajouter à ce que vous dites. Si moi j’étais Président de la République, je n’aurais pas quitté chez moi pour une réunion bidon à Abuja. Parce que la Guinée peut vivre sans Abuja. Donc il faut que la maison soit en sécurité avant d’y sortir. Tout chef d’Etat dont le pays est affecté par des problèmes comme ça, rentrent d’urgence chez lui. Mais c’est une question d’évaluation. Le Président a dû évaluer que notre existence dépendait du voyage à Abuja. Alors si c’est le cas, c’était son droit d’y aller. Donc, ce n’est moi qui vais lui apprendre à gérer. Il a un bilan à présenter et il a son image à défense dans le pays. Donc je m’interdis de le juger. Mais moi, si j’étais président de la République de Guinée, je ne serais pas sorti si on me disait qu’il y a des problèmes dans la sous-préfecture de Madina Oula. Je ne serais parti que si je sais que les forces de sécurité ont la situation bien en main et qu’il n'y a plus d’affrontements.

Merci monsieur Doré

Je vous remercie bien.

 

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